La crise de leadership au sein de la Tariqa Qâdiriya Boutchichiyya : entre légitimité de la succession et autorité du désignation

 

 

 

 

 

À un tournant délicat de l’histoire du soufisme marocain, la mort du maître spirituel Cheikh Jamal al‑Qâdiri al‑Boutchichi a déclenché une controverse majeure sur la légitimité de sa succession. Accusations de détournement d’une succession légitime par un mode de “désignation administrative” ont mis en lumière une fracture entre héritage spirituel transmis et emballement institutionnel. À travers cet essai analytique, je me propose de mettre en évidence les enjeux profonds de cette crise, en scrutant le conflit entre la logique de la transmission mystique et celle du contrôle institutionnel, au sein de l’une des plus influentes Tariqa du monde islamique.

Depuis le décès du vénéré Cheikh Jamal, la tariqa Boutchichiyya – l’une des confréries soufies les plus profondément enracinées au Maroc – traverse une période critique, au-delà d’un simple conflit fraternel, soulevant des interrogations essentielles sur l’avenir du soufisme institutionnel et la portée du pouvoir temporel dans la transmission des secrets spirituels.

Dans la tradition soufie, la cheikha n’est ni élue ni assignée par une autorité administrative. Elle se transmet selon un rituel immuable fondé sur la wasiyya (testament spirituel), la compacité avec le maître et l’ autorisation mystique. De la succession du Cheikh Abbas à celle du Cheikh Hamza puis de Jamal, l’héritage repose sur la transmission spirituelle, pas sur des dynamiques sociales ou familiales.

Cette succession spirituelle a orienté la désignation de Moulay Mounir, fils du défunt Cheikh, comme héritier désigné selon le testament, avec la reconnaissance implicite de son père et de son grand-père. Mais l’annonce soudaine de la décision de Mounir d’“abdiquer” en faveur de son frère cadet, Mouad, a déclenché une onde de choc, bouleversant un équilibre consacré par des décennies de tradition.

Réclamer un “choix volontaire” dans ces conditions soulève d’importantes questions légitimes : dans la pensée soufie, la cheikha est une dévolution sacrée. Et même en admettant cette prétendue abdication, sa validité est annulée si elle constitue le résultat d’une contrainte ou d’une pression – conformément aux principes juridiques et à l’enseignement prophétique selon lesquels “tout contrat imposé est nul”. La cheikha se reconnaît par l’agrément spirituel, non par l’influence médiatique ou une déclaration publique.

Ce conflit interne reflète, au-delà d’une crise de succession, une tentative de redéfinir l’écosystème soufi au regard des logiques officielles de régulation religieuse. La transformation d’une cheikha légitime en “nomination institutionnelle” introduit une dimension purement politique qui ôte au soufisme sa profondeur éducative pour le réduire à un folklore sans essence.

Face à cette situation, le disciple humble oppose une résistance spirituelle notable. Beaucoup – au Maroc et dans la diaspora – ont affirmé leur fidélité à Mounir, rejetant toute usurpation de la succession sacrée. Pour eux, le soufisme ne s’organise pas selon une logique de rang ou d’autorité sociale, mais vit à travers le contrat de cœur entre le maître et le disciple.

Dans un contexte où plusieurs confréries sont instrumentalisées à des fins d’influence ou de contrôle communautaire, la question qui se pose est aiguë : le soufisme peut-il conserver son autonomie éducative face à la politisation rampante ? Peut-il garder ses piliers spirituels sans devenir une courroie de transmission idéologique ?

La tariqa Qâdiriya Boutchichiyya demeure un emblème de modération et d’ouverture – mais pour préserver ces attributs, il est indispensable de protéger sa légitimité spirituelle, de sauvegarder le lien initiatique et de défendre le caractère sacré de la cheikha.

Le silence des maîtres soufis devant cette crise serait une trahison de la tradition mystique qui a guidé leurs sentiers. Car la cheikha n’est ni trophée ni signe de prestige, elle est un engagement sacré. Et celui qui trahit cet engagement trahit l’héritage, la lumière et le cœur.

Ce conflit n’est pas un simple différend familial, c’est une lutte pour l’âme même du soufisme.


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