Psychologie des foules entre émotion et raison : les explosions populaires produisent-elles du changement ?

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Abdellah Mechnoune

 

 

 

Premièrement : les foules entre colère et raison
Au cœur des transformations sociales et politiques que traversent les sociétés, une question essentielle revient sans cesse : est-ce que les foules en colère mènent au changement ou à la désolation ? Cette interrogation reste vivante et préoccupante, notamment dans les pays où les vagues de protestations populaires se répètent. Elle touche à la nature des réactions collectives, aux limites de la conscience de masse, et à la capacité de formuler des alternatives concrètes.

Gustave Le Bon décrit dans son ouvrage célèbre La psychologie des foules les foules comme un être psychique nouveau, né de l’intégration des individus au sein d’une masse humaine homogène. Selon lui, l’individu renonce à sa conscience personnelle dans la foule, devenant plus sensible à l’influence, plus facilement dirigé, ce qui peut rendre le comportement des foules extrême, loin de ce que ferait un individu seul.

Deuxièmement : le contexte arabe et maghrébin entre émotion et conscience
Mais peut‑on appliquer cette théorie sans réserve à notre réalité arabe et maghrébine actuelle ? Est‑ce que toute explosion populaire est fatalement vouée à la désorganisation ?

La réponse est très complexe. Le moment de l’explosion collective est souvent construit sur des accumulations émotionnelles : sentiment d’injustice, frustration, cherté de la vie, impasse, absence de justice sociale. Toutefois, cela n’exclut pas l’existence d’une conscience politique véritable qui se modèle progressivement, notamment avec l’expansion de l’espace numérique et la rapidité de la circulation de l’information.

La jeunesse d’aujourd’hui, et en particulier la génération Z, n’est plus animée seulement par l’élan émotionnel. Elle dispose d’outils d’analyse, sait distinguer les revendications sociales des gesticulations politiques. Et en tant que journaliste parmi les Marocains du monde, je constate que la voix de la rue marocaine n’est plus absurde ou pure colère – elle est devenue plus consciente et en phase avec les aspirations d’un peuple qui aspire à la dignité et à la justice.

Troisièmement : l’encadrement politique – la différence entre construction et destruction
L’absence d’encadrement politique, syndical ou civil, le faible rôle des institutions intermédiaires, peuvent transformer des foules en colère en instrument de destruction au lieu d’être un levier de construction. La nature rejette le vide, et là où le dialogue et l’encadrement font défaut, le désordre surgit, et des forces extérieures ou internes souvent sans lien avec les véritables intérêts populaires s’immiscent.

Les régimes qui considèrent tout mouvement populaire avec suspicion et hostilité alimentent souvent la thèse de Le Bon sur les foules. Répression, humiliation – ces attitudes intensifient la frustration et poussent vers l’explosion plutôt que vers le dialogue et la réforme.

Quatrièmement : colère sociale : cause ou chaos ?
Cependant, la peur excessive du « chaos des foules » ne doit pas devenir un prétexte pour consolider l’immobilisme ou justifier l’autoritarisme. L’Histoire nous enseigne que le changement ne provient pas toujours des institutions, mais souvent de la rue, de l’impulsion citoyenne quand la légitimité du silence s’écroule.

La colère sociale ne surgit pas ex nihilo : elle est le fruit direct de politiques économiques injustes, de la faiblesse des services publics, et de l’absence d’espoir dans l’avenir. Transformer des foules en un facteur de construction ne se fait ni par la répression ni par le discrédit, mais par l’ouverture d’espaces médiateurs, le dialogue public et la création de canaux légitimes d’expression.

Cinquièmement : entre sincérité et chaos des foules
Le Bon a raison quand il affirme que les foules ne sont pas toujours rationnelles. Mais il serait injuste de généraliser ce jugement à tout mouvement populaire revendiquant ses droits. Les foules ne sont pas toujours déchaînées : parfois elles sont plus sincères et plus claires que des institutions vides de sens.

Aujourd’hui, nous avons besoin d’écouter attentivement une nouvelle génération qui exprime ses revendications dans sa propre langue, via des moyens numériques, selon sa manière de penser. Ignorer cette voix, c’est reproduire la même spirale perverse : le silence, la tension, l’explosion… sans horizon, et au sens incertain.

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