La Théorie du Vide dans le Fonctionnement des Conseils des Collectivités Territoriales au Maroc : Entre Paralysie et Reconstruction
Par Oussama Chanfar (Chercheur en doctorat)
Le vide entre problématique théorique et manifestation concrète
Le vide dans la gestion des conseils des collectivités territoriales au Maroc constitue un phénomène récurrent, soulevant des interrogations fondamentales quant à sa nature, ses causes, ses limites et ses effets. Doit-on y voir une simple conjoncture passagère ou le symptôme d’un dysfonctionnement structurel du pouvoir local ? Est-il un arrêt reflétant une crise ou un moment fondateur d’une nouvelle phase de reconfiguration ?
En sciences politiques, administratives et sociales, le vide n’est pas perçu comme une absence absolue, mais comme une condition fondatrice pour la reproduction du pouvoir et la redistribution des centres de décision.
Dans l’architecture topologique, l’ensemble vide est nécessaire pour structurer les autres ensembles. En mathématiques, il joue un rôle fondamental : il fonctionne comme le zéro dans les opérations d’addition et de multiplication.
Cette idée se transpose dans les systèmes de gouvernance financière et décisionnelle : c’est souvent la découverte du vide qui stimule la pensée et la créativité. Sans vide gestionnaire face à certaines revendications ou enjeux, il n’y aurait ni place à l’initiative, ni valeur à l’effort d’innovation. Le vide budgétaire, par exemple, peut exprimer un déficit ou un excédent, mais dans les deux cas, il appelle une explication… et une solution.
C’est ainsi que naît la « théorie du vide » : une première étape vers la construction de solutions — une ingénierie élastique.
Cette approche, à la fois philosophique et scientifique, établit un lien entre le vide topologique et le vide au sein des systèmes de gestion et de décision. Elle révèle le rôle moteur du manque comme catalyseur du mouvement et de la créativité.
Dans cette optique, le vide budgétaire et gestionnaire devient un « zéro fonctionnel » : non pas une négation de l’existence, mais une base pour une reconstruction, à l’instar du zéro en mathématiques, qui n’est jamais vide de sens mais constitue un pilier de la structure numérique.
Cette théorie peut s’appliquer à l’analyse des politiques publiques, où l’absence de vision ou la faiblesse institutionnelle incite les acteurs à rechercher des solutions innovantes. Ce que l’on pourrait appeler une « ingénierie élastique », c’est-à-dire la capacité à reconfigurer les structures en fonction des vides présents dans le système politique ou économique.
Le concept pourrait également s’élargir à d’autres domaines : dans l’organisation sociale, le vide en leadership ou en valeurs partagées engendre des transformations majeures. En philosophie, le vide est souvent vu comme nécessaire à l’émergence de la conscience de soi et au développement intellectuel.
L’analyse des dynamiques des conseils territoriaux montre que le vide se manifeste à travers plusieurs étapes successives :
1. La léthargie ;
2. Les conflits internes ;
3. L’arrêt du fonctionnement ;
4. La reconfiguration ou l’intervention externe à travers le pouvoir de substitution.
Cette dinamique fait du vide un moment charnière dans le parcours des conseils territoriaux. Elle nous pousse à nous interroger : le vide est-il un facteur bloquant ou une condition nécessaire à la reconstruction ?
1. De la léthargie au vide : les étapes d’une crise de gouvernance
Avant d’atteindre l’état de vide, les conseils territoriaux traversent une phase de léthargie marquée par :
Un manque de cohésion entre les composantes du conseil, souvent dû à des conflits d’intérêts partisans ou personnels ;
L’absence de vision stratégique claire, menant à des décisions dispersées et à une gestion inefficace des ressources ;
Des interventions extérieures (de l’autorité de tutelle ou d’acteurs politiques locaux), affectant l’autonomie du conseil ;
Des conflits internes qui paralysent la prise de décision et figent l’institution.
Pourquoi certains conseils atteignent-ils cette phase de vide ? Est-ce le simple résultat de dysfonctionnements internes ou le reflet d’un déséquilibre plus profond entre l’État et les collectivités territoriales ?
2. Le vide comme condition de transition : entre “asabiyya” et pouvoir de substitution
Lorsque le vide s’installe, deux trajectoires principales s’offrent :
1. La reconfiguration interne, par une redistribution des rôles et la recherche d’une nouvelle légitimité via alliances ou reformation des équilibres majorité/opposition.
2. L’intervention de l’État, via le pouvoir de substitution exercé par le ministère de l’Intérieur, pouvant aller jusqu’à la dissolution du conseil et la réorganisation de ses structures.
Cette dynamique trouve écho dans le concept de ‘asabiyya développé par Ibn Khaldoun, selon lequel le pouvoir obéit à un cycle naturel : émergence, expansion, déclin, puis disparition, laissant un vide propice à l’émergence d’une nouvelle force de cohésion. Ainsi, le vide dans les conseils locaux pourrait-il être lu comme une réédition de cette boucle ? L’intervention de l’État est-elle un remède à la crise, ou une manifestation d’un centralisme persistant ?
3. L’expansion du vide comme variable inconnue dans l’équation de la gouvernance
Dans les modèles mathématiques, toute équation suppose la présence d’une variable inconnue (X), essentielle à la solution. Transposé à la gouvernance territoriale, le vide devient cette variable :
Soit un facteur d’incapacité, menant à l’arrêt administratif et à la stagnation des projets,
Soit un levier de stimulation, incitant les acteurs à trouver des solutions novatrices.
Il en va de même dans le domaine financier : le vide budgétaire peut signaler une crise nécessitant une réponse urgente, ou une opportunité d’explorer des mécanismes de financement alternatifs.
Dès lors, le vide dans la gestion des conseils doit-il être perçu comme un handicap ou une opportunité de repenser les modèles de gouvernance ?
4. Du vide à la reconstruction : vers une ingénierie de gouvernance flexible
Si le vide marque un point zéro dans le parcours d’un conseil territorial, alors la solution réside dans la mise en place d’une gouvernance souple, qui intègre le vide dans la dynamique du changement. Cela implique :
Le renforcement de la médiation interne pour prévenir l’escalade des conflits ;
La révision des lois organiques pour offrir une plus grande autonomie aux conseils ;
Une approche participative intégrant la société civile dans le comblement du vide à travers des initiatives locales.
Ces solutions peuvent-elles réduire la récurrence des vides dans la gestion territoriale, ou faut-il envisager une réforme plus profonde des relations entre l’État et les collectivités ?
Conclusions générales : entre vide fabriqué et vide naturel
Le vide n’est pas seulement une interruption, mais un moment stratégique de réorganisation du pouvoir. Il fait partie du cycle naturel des institutions, mais il peut aussi être fabriqué, instrumentalisé à des fins politiques.
Sommes-nous face à un vide inévitable lié à la nature du système territorial, ou à un outil délibérément utilisé pour bloquer certaines instances au service d’agendas cachés ?
Sortir de la logique du vide comme crise pour en faire une opportunité de rééquilibrage, voilà le véritable défi. Mais cela exige une analyse des causes structurelles du vide et la mise en place de mécanismes de prévention, sans recourir systématiquement à des interventions verticales qui risquent de renforcer le contrôle central au détriment de la démocratie locale.
Références utiles pour approfondir le sujet :
La Constitution marocaine de 2011 ;
Les lois organiques relatives aux collectivités territoriales ;
Études sur la gouvernance territoriale et la gestion locale ;
Recherches sur les systèmes de gestion financière des collectivités ;
Travaux sur la philosophie du pouvoir chez Ibn Khaldoun et son lien avec les modes de gouvernance locale ;
Ouvrage : Ce que Ibn Khaldoun n’a pas dit : la loi du vide dans l’ascension et la chute des États et des groupes, par Dr. Kamal Al-Qassir, publié par le Centre Madarat, Le Caire, 2024 ;
Études comparatives des dynamiques des conseils territoriaux dans des pays au système proche du Maroc.