Yassine Loghmari : Une expérience littéraire prometteuse de Tunisie avec son roman forgeron du temps
Un article du critique irakien Mueyyed Aloui
Yassine Loghmari a publié quatre romans : Le Temps de la Fatigue Chronique, L’Horloger, forgeron du temps, la supercherie supreme et les filles de l’âme tourmente entre 2023 et 2024. S’appuyant sur une philosophie réaliste à dimension humaine, ces œuvres explorent les souffrances de l’individu face aux rapides transformations économiques et sociales qui affectent l’humanité tout entière.
La narration, ici, représente une expérience jeune ancrée dans un champ d’expérimentation créative, où chaque roman aborde le sujet de manière artistique et distincte, tout en variant l’utilisation des éléments narratifs tels que les personnages, le temps et le lieu. L’auteur emploie une technique de narration alternée entre le narrateur et les voix des personnages, comme le montre L’Horloger, forgeron du temps. Yassine Loghmari utilise habilement ce procédé pour créer un discours dialogique qui se démarque du dialogue traditionnel, innovant ainsi le récit de la littérature arabe contemporaine.
Ainsi, dans cette œuvre, la narration est majoritairement dialogique, reflétant les souffrances de ceux que les problèmes de la vie ont conduits vers des hôpitaux psychiatriques, tout en adoptant une tonalité tragique. En revanche, dans la supercherie supreme, le style devient satirique et ironique, comme l’a souligné Dr. Aqil Hashim dans la revue Al-Furja, affirmant que Yassine Loghmari révèle dans la supercherie supreme une narration dialogique empreinte d’une sensibilité aiguë. Malgré ces différences, le style narratif conserve une certaine uniformité dans sa forme et ses outils, tout en variant les types de personnages et de lieux.
Pour ne pas perdre de vue l’essence de cet article sur le roman L’Horloger, forgeron du temps, il est essentiel de souligner son thème central : l’évolution de la vie économique des nations et des entreprises multinationales, ainsi que l’impact sur les religions et les nationalités. En peu de temps, cette évolution a entraîné un délabrement organisé, se présentant extérieurement comme un progrès, mais réduisant en réalité la société humaine à des individus consommateurs, focalisés sur l’apparence au détriment de l’essence humaine et spirituelle.
L’intrigue se déroule en France, offrant une réflexion pertinente sur la société capitaliste occidentale et la transformation de l’individu en consommateur des valeurs de son propre milieu, où les liens se limitent à une relation unidimensionnelle : une minorité de riches avares contrôlant la majorité par le biais des intérêts financiers. Le protagoniste, indifférent à l’Église, cherche un ami et ne le trouve que dans un hôpital psychiatrique, en la personne de l’Horloger, une figure secondaire mais cruciale qui contribue à faire évoluer le récit vers une victoire sur la cupidité et l’égoïsme, des valeurs imposées au sein de la société française.
Le titre L’Horloger, forgeron du temps évoque l’idée que le temps vécu par l’individu en isolement est relatif, et que la solitude peut engendrer des pensées dangereuses, menant parfois au suicide, comme le montre le sort d’une femme dans le récit. La narration met en lumière le contraste entre une communauté soudée par des valeurs et la vie consumériste et isolée de l’individu.
L’horloger, symboliquement, représente un temps déformé. Dès le début du roman, une référence à l’année 1986 en France est une indication que le temps n’est pas narrativement correct : l’horloge offerte au protagoniste devient le symbole d’un changement intérieur, soulignant la relativité du temps vécu en solitude, même dans son propre pays, la Tunisie.
Les similitudes entre les expériences de l’horloger et du protagoniste en exil, tant en France qu’au pays, soulignent leur quête d’amitié. Dans cet échange, on perçoit une profonde mélancolie face à la solitude :
« Si nous étions au pays, je t’offrirais une boîte de gateaux. »
Cet extrait illustre bien la douleur de la célébration d’une fête dans l’isolement, où la joie est absente et le souvenir du pays n’apporte que souffrance. Les mutations économiques et sociales rapides dans des pays comme la France continuent de m’inquiéter, affectant de manière croissante les valeurs sociales et les relations communautaires dans un contexte de dépendance économique vis-à-vis des nations développées, qui tendent à transformer les individus en consommateurs isolés.