Dr.Rachid Hamimaz
Professeur de l’enseignement supérieur
Chercheur en Sciences Sociales
« Une société prompte à dénoncer les autres sans jamais interroger ses propres travers témoigne d’un désarroi profond et d’une inquiétante incapacité à se réformer ».
Je m’interroge sur la critique formulée par certains occidentaux (médias, pseudo intellectuels…) à l’égard de la place de la femme dans l’islam, souvent décrite comme soumise et asservie à l’homme. Cette vision s’appuie sur un modèle occidental où la femme est supposée libre, digne et indépendante. Cependant, à travers les représentations médiatiques, notamment la publicité (mais pas seulement), il apparaît que la femme en Occident n’est pas véritablement libre, fréquemment réduite à un objet de désir sexuel. La crise sans précédent de l’institution du mariage, la multiplicité des partenaires et la valorisation de l’infidélité conjugale comme une forme d’épanouissement féminin révèlent une réalité éloignée de l’image d’une femme digne, respectée et respectable. Tandis que l’Occident critique la place de la femme dans l’islam au nom de valeurs supposées de liberté et de dignité, il montre pourtant des contradictions dans ses propres représentations et pratiques.
Ne sommes-nous pas face à une inversion des rôles, où ceux qui critiquent autrui pour certaines attitudes incarnent en réalité les mêmes contradictions qu’ils dénoncent chez l’autre ?
1. L’image de la femme en Occident, souvent valorisée comme indépendante et émancipée, dissimule une réalité complexe où la liberté coexiste avec l’objectification. La publicité et les médias jouent un rôle central dans la création d’une femme-objet, réduite à son apparence physique et à son potentiel de séduction. Cela pose la question de l’authenticité de la liberté qui lui est accordée : est-elle réellement libre si sa valeur est souvent mesurée par des standards esthétiques et des attentes de désirabilité ? En exploitant les femmes comme objets de désir dans les représentations médiatiques (publicité, cinéma…), on les prive de leur individualité, de leur intelligence et de leurs talents, renforçant l’idée qu’elles existent principalement pour plaire ou attirer l’attention. Ce phénomène contredit les principes de dignité et d’égalité censés être au cœur des sociétés occidentales.
2. Les transformations des modèles familiaux occidentaux, marquées par la hausse des divorces et la multiplication des partenaires, révèlent une instabilité qui contraste avec l’idéal de dignité et de respectabilité. En 2022, l’INSEE a recensé environ 130 000 divorces en une année , soit un taux de divorce d’environ 45% par rapport au nombre de mariages. À Paris, environ 50% des mariages se terminent par un divorce, un chiffre légèrement supérieur à la moyenne nationale. Le Royaume-Uni affiche un taux de divorce d’environ 42%, tandis qu’en Espagne, ce taux atteint environ 57%, l’un des plus élevés en Europe. En France, le concubinage est également en hausse, avec environ 23% des couples vivant en union libre en 2022, soit une augmentation par rapport aux décennies précédentes. Aux États-Unis, ce taux a augmenté de plus de 25% depuis 2007 et a doublé au Royaume-Uni depuis 1990.
En ce qui concerne l’infidélité, une enquête de l’IFOP réalisée en 2020 montre que 33% des femmes et 49% des hommes admettent avoir été infidèles au moins une fois dans leur vie, une tendance nettement en hausse par rapport aux décennies précédentes. Aux États-Unis, le General Social Survey (GSS) indique que 16% des Américains mariés ont eu une aventure extraconjugale, l’écart entre hommes et femmes se réduisant avec le temps. Enfin, l’évolution des modèles de genre et des identités sexuelles en Occident, caractérisée par une plus grande acceptation sociale et des droits accrus pour les personnes LGBTQ+, témoigne d’une société en quête de reconnaissance et d’inclusion.
Ces évolutions peuvent refléter une quête d’épanouissement personnel, mais elles interrogent également sur leurs conséquences pour la cohésion sociale et le respect mutuel dans les relations. La baisse de la religiosité, un des facteurs clés de l’augmentation des divorces, du concubinage et même de l’infidélité conjugale, affaiblit les normes traditionnelles en privilégiant l’autonomie personnelle et la liberté de choix, marquant un glissement vers des valeurs plus séculières et individualistes où les choix conjugaux se détachent des impératifs religieux.
3. Ces réflexions soulèvent deux questions fondamentales sur la notion de liberté. La véritable liberté réside-t-elle dans la multiplication des partenaires, la promotion du concubinage, le recours massif au divorce, et l’exercice d’une autonomie totale sur son corps, que ce soit en choisissant son orientation sexuelle, son genre, ou en revendiquant une sexualité sans limites, même controversées ? Ou bien, comme le préconise l’islam, la liberté ne se trouve-t-elle pas plutôt dans la maîtrise de ses pulsions, la soumission à des règles divines, et l’usage de son corps en accord avec ce qui plaît ou déplaît à Dieu ? à Celui qui en est le véritable Propriétaire ?
L’infidélité, parfois perçue en Occident comme une affirmation de soi, interroge sur la compatibilité de cette revendication de liberté avec les notions de respect et d’engagement qui définissent des relations saines et éthiques. N’est-elle pas en contradiction avec les valeurs de l’engagement mutuel et du respect des accords entre partenaires, considérées comme essentielles à la dignité humaine ? Peut-on dès lors considérer la multiplication des partenaires et l’infidélité conjugale comme une avancée significative en termes de liberté, de respect et de dignité ?
Ne serait-il pas plus juste de voir une véritable avancée, comme le prône l’islam, dans la promotion de relations fondées sur le respect mutuel, une communication ouverte, et des engagements équilibrés qui harmonisent liberté personnelle et responsabilité envers autrui ?
Les critiques adressées à d’autres cultures ne servent-elles pas de miroir aux propres dilemmes et failles de la société qui critique ? En accusant l’autre d’asservissement ou d’oppression, ne cherche-t-on pas à éviter de se confronter à ses propres contradictions internes ? Cette dynamique de transfert semble indiquer que l’Occident, en critiquant l’islam, exprime en réalité ses propres inquiétudes et questionnements sur le rôle et le respect des femmes au sein de ses propres sociétés.
4. La place de la femme dans l’islam est souvent caricaturée, sans prendre en compte les nuances et la diversité des interprétations culturelles et religieuses. De nombreuses femmes musulmanes affirment trouver dans leur foi une source de dignité, de respect et de sécurité. Cela invite à remettre en question les standards occidentaux utilisés pour évaluer les autres cultures, standards qui ne cherchent pas toujours à comprendre les valeurs internes et les vécus personnels. Les abus constatés contre les femmes dans certaines sociétés dites islamistes sont souvent attribués à l’islam, alors qu’ils relèvent en réalité de facteurs sociologiques, culturels, et éducatifs plutôt que de la religion elle-même. Cette confusion témoigne d’une ignorance profonde, souvent alimentée par des médias qui jugent sans nuance, privilégient les stéréotypes aux analyses éclairées, ou déploient une mauvaise foi masquée derrière des représentations biaisées.
L’islam n’a pas réussi à façonner complètement les sociétés très diverses où il s’est implanté. Des pratiques, des dérives et des traditions culturelles ont perduré, cherchant à coexister avec la nouvelle religion et parfois à y trouver des justifications et une légitimité. Cette situation est exacerbée par la présence de l’illettrisme et de la pauvreté. Ce serait une stupidité d’imputer à l’Islam une sociologie qu’il n’es pas parvenu à modifier.
Aucune religion n’y est parvenue d’ailleurs. Par exemple, l’appel au viol des femmes palestiniennes par des rabbins israéliens extrémistes durant ce génocide en cours peut-il être attribué à la religion juive elle-même ? Il suffit d’écouter les rabbins orthodoxes, notamment ceux des mouvements comme les Neturei Karta, pour comprendre que l’interprétation authentique de la Torah est à des années-lumière de ce fanatisme.
Voici quelques exemples de pratiques subsistantes parfois, issues de facteurs culturels, sociaux ou économiques, et non de l’islam, que les critiques exploitent souvent de manière biaisée pour présenter l’islam comme une religion avilissante pour les femmes :
Le mariage précoce et forcé (Niger, Tchad, Bangladesh, Afghanistan) est souvent justifié par des normes culturelles, sociales et par les contraintes économiques de la pauvreté, bien que l’islam ne promeuve pas ces pratiques et encourage plutôt le consentement libre des époux. Le Prophète Muhammad (ﷺ) a dit : « Une veuve ne doit pas être mariée avant qu’elle ait été consultée, et une vierge ne doit pas être mariée avant d’avoir donné sa permission » (Hadith rapporté par Al-Bukhari et Muslim). Le Coran insiste également sur la maturité et la responsabilité dans le mariage : « Et mariez les célibataires d’entre vous et les gens de bien parmi vos serviteurs et servantes. S’ils sont besogneux, Allah les enrichira par Sa grâce » (Coran 24:32), ce qui sous-entend que la préparation mentale et économique est cruciale avant de se marier.
Les mutilations génitales féminines (excision en Égypte, Somalie, Soudan, Mali) sont perpétuées par l’ignorance et les croyances traditionnelles sur la pureté et le contrôle de la sexualité féminine, sans aucun fondement dans l’islam, qui rejette de telles violences contre le corps des femmes. L’excision n’est mentionnée ni dans le Coran ni dans les enseignements du Prophète Muhammad (ﷺ), qui a toujours encouragé le respect de l’intégrité physique et la bienveillance envers le corps humain.
La privation d’éducation des filles (Afghanistan, Yémen, zones tribales du Pakistan) s’explique par la pauvreté, l’insécurité et des croyances traditionnelles qui privilégient le rôle domestique des femmes, alors que l’islam encourage l’éducation de tous, indépendamment du genre, et considère le savoir comme une obligation pour chaque musulman. Le Prophète Muhammad (ﷺ) a dit : « La quête de la connaissance est une obligation pour tout musulman » (Hadith rapporté par Ibn Majah). Le Coran met également l’accent sur l’importance de l’instruction. Khadija, l’épouse du Prophète (ﷺ), et Aïcha étaient des femmes éduquées et influentes, reflétant l’importance de l’éducation des femmes dans la société musulmane.
Les restrictions de mobilité des femmes (Arabie Saoudite, Afghanistan sous les Talibans) découlent de traditions culturelles et de structures patriarcales, plutôt que de préceptes islamiques. Le Coran et les Hadiths ne restreignent pas la mobilité des femmes. Au temps du Prophète (ﷺ), ses épouses et d’autres femmes participaient activement à la vie publique, fréquentaient les marchés et prenaient part à des batailles. Aïcha, l’épouse du Prophète (ﷺ), était même consultée sur des questions religieuses et politiques, illustrant que l’islam permet aux femmes d’être actives dans la société.
La violence domestique (Jordanie, Égypte, Pakistan) est parfois tolérée dans certaines cultures en raison de normes sociétales qui placent les femmes en position de soumission, amplifiées par l’analphabétisme et la méconnaissance des droits religieux. L’islam, quant à lui, condamne toute forme de violence injuste contre les femmes. Le Prophète Muhammad (ﷺ) n’a jamais levé la main sur ses épouses et a dit : « Les meilleurs d’entre vous sont les meilleurs envers leurs femmes » (Hadith rapporté par At-Tirmidhi). Il a dit aussi : « Seul un noble honore les femmes, et seul un ignoble les humilie ». “ما أكرمهن إلا كريم ولا أهانهن إلا لئيم”
Le Coran appelle également à la bienveillance et au respect mutuel dans le mariage : « Et comportez-vous convenablement envers elles » (Coran 4:19).
Les pratiques de ségrégation et le port obligatoire de tenues vestimentaires (Iran, Afghanistan, Soudan) relèvent souvent de contrôles sociaux et politiques plutôt que d’obligations religieuses. L’islam recommande la décence et la pudeur vestimentaire, mais n’impose pas des formes spécifiques de vêtements sous contrainte. Le Coran dit : « Nulle contrainte en religion » (Coran 2:256), et le Prophète (ﷺ) n’a jamais imposé une tenue particulière, insistant plutôt sur l’intention et la sincérité du cœur.
Les restrictions d’accès au travail et à la propriété (Yémen, Afghanistan, certaines régions d’Afrique du Nord) sont souvent dues à des normes sociales et économiques qui favorisent les hommes. Ces limitations, exacerbées par l’analphabétisme et le manque de connaissance des droits religieux, sont en contradiction avec l’islam, qui accorde aux femmes le droit de travailler et de posséder des biens. La dame Khadija, l’épouse du Prophète (ﷺ), était une femme d’affaires prospère, et le Coran affirme : « Les hommes ont une part de ce qu’ils ont acquis, et les femmes ont une part de ce qu’elles ont acquis » (Coran 4:32).
En conclusion, les pratiques discriminatoires envers les femmes dans certaines sociétés dites islamiques contredisent les enseignements de l’islam, qui prône la justice, l’égalité et le respect des droits humains. Ces abus sont davantage le reflet de traditions culturelles, d’analphabétisme, et d’une méconnaissance des véritables enseignements religieux. Pour rectifier ces injustices, il est essentiel de promouvoir l’éducation, de diffuser les enseignements authentiques de l’islam, et de lutter contre les facteurs socio-économiques qui perpétuent ces pratiques.
Quant à l’Occident inquisiteur, il gagnerait à examiner ses propres contradictions et à réfléchir aux implications de ses trajectoires et à leurs conséquences sur son avenir sérieusement compromis. Au lieu de pointer l’index vers l’islam, il ferait mieux de considérer cette religion comme un miroir pour lui révéler ses malaises et corriger ses propres dérives.
Ces malaises sont plus que profonds et plus que préoccupants. Le comportement d’une large partie de l’Occident face au génocide actuel en Palestine a révélé au monde une vague de duplicité et d’hypocrisie, affichées sans retenue devant l’opinion publique. Les valeurs de sincérité et d’intégrité sont bafouées, tout comme l’essor de l’infidélité conjugale dans la sphère privée. Il existe une homologie troublante entre les comportements dans le champ matrimonial et le champ politique : comme me l’a un jour exprimé un citoyen américain, « je pense qu’un homme politique qui trompe sa femme peut tromper son peuple de la même manière, tout comme je n’irais jamais faire affaire avec quelqu’un qui grille un feu rouge. »
S’agissant des sociétés islamiques, notamment arabo-islamiques et dans une certaine mesure afro-islamiques, elles sont aujourd’hui frappées de plein fouet par ce que certains ont qualifié d’occidentalisation du monde. Cette fascination pour l’Occident et son glissement vers des valeurs séculières et individualistes, où les choix conjugaux s’éloignent des impératifs religieux, introduit insidieusement une culture de l’individualisme qui érode les valeurs traditionnelles. Il est vital de renouer avec les principes de l’islam tout en les harmonisant intelligemment avec les aspects non menaçants de la modernité. Il s’agit de s’écarter d’un modèle occidental en dérive, sans cap et voguant vers une destination inconnue, la destination de tous les dangers.