Mohammed VI : Entre fantasme médiatique et stratégie d’influence (4/6) Un roi décrit comme imprévisible, mais qui déplace les pions de son royaume sur l’échiquier international avec des pas calculés
Par Dr. Mohamed Berraou, expert international en gouvernance et auteur du livre
« La bonne gouvernance à la lumière des orientations royales »
Quatrième réponse au quatrième épisode de la série du Monde “L’énigme Mohammed VI” (4 sur 6)
Introduction
Dans sa série d’enquêtes sur « L’énigme Mohammed VI », le journal Le Monde, à travers le quatrième épisode signé par les journalistes Christophe Ayad et Frédéric Bobin, dresse le portrait d’un roi énigmatique, tantôt fin stratège diplomatique, tantôt dirigeant imprévisible, absent des sommets internationaux, punissant les artistes et prenant des décisions de manière strictement personnelle. Une narration captivante, sans doute, mais qui omet un élément fondamental : le Maroc n’est pas simplement le reflet de la personnalité du roi, c’est un État avec une stratégie, des institutions et des priorités.
Il est temps de dépasser les analyses réductrices centrées sur la personne, et de revenir à une approche politique rationnelle.
Du roi stratège à la figure instable : un glissement narratif
L’article résume un parcours diplomatique long et complexe — du retour à l’Union africaine en 2017 à la reconnaissance par plusieurs capitales européennes et américaines du plan d’autonomie — à une succession de réactions émotionnelles ou d’épisodes étranges. Le rapprochement avec Israël ? « Un marché d’intérêt ». La tension avec l’Espagne ? « Du chantage migratoire ». La question du Sahara ? « Une obsession nationale ».
Pourtant, ces décisions ne sont en rien impulsives. Elles traduisent une vision stratégique articulée autour de quatre axes : souveraineté, sécurité, ancrage africain et ouverture équilibrée sur l’Europe et l’Occident. Mohammed VI préfère peut-être l’action discrète, mais il est incontestablement l’architecte d’une politique étrangère active, cohérente et en avance sur plusieurs fronts.
La question du Sahara : une “obsession” ou une cause souveraine légitime ?
Le Monde reconnaît que le Maroc a obtenu des avancées diplomatiques majeures dans le dossier du Sahara, avec le soutien des États-Unis, de l’Espagne, de l’Allemagne et de la France au plan d’autonomie. Mais le journal refuse d’y voir un succès politique.
En réalité, ce dossier n’est pas une affaire de passion ou d’ego, c’est un pilier du système politique marocain depuis la Marche verte de 1975, jouant un rôle central dans l’équilibre entre pouvoir, armée et opinion publique. Le réduire à une “obsession royale”, c’est faire peu de cas de l’histoire complexe et sensible d’un pays entier.
L’Afrique subsaharienne : une stratégie réfléchie, pas une simple manœuvre
De l’exportation d’engrais à la régularisation des migrants, de l’expansion bancaire marocaine en Afrique de l’Ouest à la formation des imams, la présence du Maroc en Afrique subsaharienne n’est pas un hasard. C’est un projet de long terme, visant à affirmer la profondeur stratégique du Royaume et à équilibrer ses relations avec l’Europe.
Réduire cette présence à une simple « réaction à l’Algérie » est une simplification erronée. Le Maroc a construit des relations autonomes, économiques et spirituelles, avec son environnement africain. Il n’est pas qu’un acteur dans un conflit régional.
Israël, Gaza et la diplomatie du réalisme
Dans l’analyse de Le Monde, le rapprochement maroco-israélien est présenté comme un calcul froid au détriment de la cause palestinienne. L’article laisse entendre que « Rabat préfère les drones aux enfants de Gaza ».
Cette lecture ne reflète pas fidèlement la réalité. Le Maroc n’a jamais abandonné son soutien officiel à la Palestine. Il préside le Comité Al-Qods et maintient des canaux de dialogue avec toutes les parties. Il cherche à concilier souveraineté nationale, sécurité intérieure et solidarité islamique — comme le font nombre d’autres pays arabes.
Un regard français encore prisonnier des clichés
La couverture de Le Monde reflète un biais récurrent dans certains médias français : réduire l’État à la personnalité du souverain, le régime à des humeurs, et la politique à des anecdotes. Le roi qui « dort », qui « se fâche » ou « annule des sommets » occulte l’image d’un pays entier redessinant sa place sur le continent et dans le monde.
En réalité, le vrai « mystère » n’est pas Mohammed VI. Le vrai mystère, c’est pourquoi certains refusent encore de traiter le Maroc comme un État doté de calculs rationnels et de stratégies claires.
Conclusion : Penser l’État, pas la personne
Le Maroc d’aujourd’hui n’est pas une monarchie fantaisiste guidée par des caprices personnels. C’est un État en pleine reconfiguration géopolitique, ouvert sur l’Afrique, aguerri dans ses partenariats, développant son industrie de défense et engagé dans des batailles diplomatiques multilatérales.
Il est temps de rompre avec les vieux schémas orientalistes et de considérer le Maroc comme un acteur régional mature, avec ses intérêts, ses contradictions, et ses choix souverains.






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