Talha Gibriel
Il m’arrive souvent de recevoir des questions de la part d’amis ou de lecteurs intéressés au sujet de livres que j’ai écrits, publiés par différentes maisons d’édition. Ils m’interrogent, pensant que ce que j’ai écrit mérite d’être lu. C’est leur opinion, et je leur en suis reconnaissant.
Il ne fait aucun doute que le sentiment d’un écrivain lorsqu’il sait que ses livres sont lus est très différent de celui qu’il ressent face à la lecture de ses autres écrits, qu’il s’agisse d’articles ou de chroniques journalistiques. À mon avis, chaque livre, quel que soit son sujet, entretient un lien profond avec son auteur : il est une part de sa vie, de sa pensée, de son travail et de son expérience. L’auteur le façonne lentement, ligne après ligne, mot après mot. Parfois, le livre reflète même une “autre personne”, différente de celle que nous connaissons.
Partant de cette vision, j’éprouve toujours une certaine tristesse à l’idée que ce que j’ai écrit ne soit pas parvenu au lecteur qui m’importe le plus : celui du monde arabe, qui s’étend d’un rivage à l’autre sur deux continents. J’ai tenté de trouver une solution, à travers des efforts personnels, mais cela s’est révélé vain. Même lorsque des distributeurs ont pris l’initiative de me contacter, rien de concret ne s’est produit. Beaucoup de souhaits, peu de résultats.
Il est parfois facile d’envoyer certains de ces livres à ceux qui les demandent, surtout s’ils vivent en Europe ou en Amérique. Mais l’expérience d’envoyer des ouvrages à des lecteurs arabes – ceux qui me tiennent le plus à cœur – s’est avérée pénible. J’ai essayé à plusieurs reprises d’envoyer quelques exemplaires à des pays arabes, mais cela a été un échec. Les livres ne sont jamais arrivés à destination… et ne me sont jamais revenus non plus. J’ai tenté l’expérience à de nombreuses reprises, depuis diverses capitales, sans résultat.
C’est alors que j’ai compris pourquoi, dans certains bureaux de poste européens, un avertissement figure indiquant que l’envoi vers certains pays arabes n’est pas garanti. Que certains pays arabes figurent sur la “liste des pays soutenant le terrorisme” est certes regrettable, mais compréhensible dans une logique politique. Mais que le nom de votre pays apparaisse sur une liste de “pays malheureux”, si peu nombreux qu’on peut les compter sur les doigts d’une main, et où même une simple lettre ne peut être envoyée… voilà qui est profondément attristant.
Jamais je n’aurais imaginé qu’un jour viendrait où nous chercherions désespérément un voyageur prêt à transporter “quelques livres” à des amis dans tel ou tel pays.
Mais alors, le problème est-il vraiment l’acheminement des livres vers certains pays arabes ? Ou bien, en réalité, sommes-nous face à une vérité plus crue : celle d’une nation qui ne lit pas ?
Les peuples qui ne lisent pas sont faciles à manipuler.