Chadli Si-Mohamed : « À travers mes photographies, je tente de donner à voir un Maroc multiple, riche de sa diversité et de son histoire. »
Chadli Si-Mohamed est un de ces artistes-phares de la diaspora marocaine. Son aventure photographique le mène entre le Maroc et la France où il enseigne les arts visuels et anime des ateliers de photographie. L’œuvre photographique de Chadli Si-Mohammed est caractérisée par la richesse, la diversité et la profondeur qu’il signe dans plusieurs expositions individuelles et collectives dans les deux pays. Il vient d’exposer ses photographies, en mois de février, à la galerie Nouiga à Rabat.
Italiatelegraph : Tout d’abord, le public d’Italiatelegraph veut connaître Si-Mohamed Chadli, qui est-il ?
Chadli Si-Mohamed : Auteur-photographe maroco-français et chercheur passionné, mon travail est profondément enraciné dans l’exploration de la culture, du patrimoine et des paysages naturels. Installé en France depuis 1977, j’ai su allier ma passion pour l’image à une formation académique scientifique en écophysiologie et morphogenèses végétales. Mon œuvre photographique est le reflet de mes multiples centres d’intérêt, allant de la recherche académique aux expositions artistiques. Je développe une approche photographique unique, mêlant rigueur scientifique et sensibilité artistique.
Dès l’adolescence, je m’initie à la photographie argentique noir et blanc et l’utilise comme outil de validation de mes travaux de recherche universitaire en biologie et physiologie végétales. Parallèlement, j’ai animé des ateliers photographiques, affinant ainsi ma pratique et ma pédagogie dans le domaine artistique. Cette double approche a forgé en moi un regard précis sur l’adaptation des végétaux et l’influence du climat, thèmes qui marqueront mon travail artistique.
Mon engagement s’étend au-delà de la photographie : j’ai enseigné les techniques d’expression et de communication autres à l’Université de Bourgogne entre autres et milite pour la transmission des savoirs. Mon travail met en valeur le patrimoine culturel et paysager à travers des expositions sur l’architecture arabo-andalouse, les plantes du Rif ou encore la relation entre l’homme et son environnement. Je perçois l’image comme un puissant vecteur de sensibilisation aux enjeux humains et écologiques.
Afin de renforcer cet engagement, j’ai cofondé l’association “Éducation, Culture et Territoires”, favorisant les échanges culturels et artistiques. J’œuvre ainsi à rapprocher les publics de leur patrimoine et à valoriser les interactions entre individus et environnement.
Mes photographies, exposées en France et au Maroc, ont pour thématiques la vie quotidienne, les traditions et les mutations des espaces habités. J’ai également publié “Regards croisés sur le Maroc” en 2009, illustrant une vision personnelle du pays.
Acteur clé des échanges culturels entre le Maroc et la France, j’organise des résidences artistiques, des expositions et des échanges entre les 2 pays, mettant en lumière de jeunes talents et la culture de l’autre. À travers l’image, je crée un dialogue intergénérationnel et interculturel, affirmant que l’art et la science peuvent s’entrelacer pour offrir un regard singulier sur le monde.
Installé à Dijon, en France, et voyageant fréquemment au Maroc, je poursuis mon engagement et ma passion en faveur du patrimoine et de la photographie, incarnant un véritable pont entre cultures et générations.

Balcon – Cap Spartel –Tanger- Mars 2024 – ©C. Si-Mohamed
Italiatelegraph : Comment êtes-vous venu à l’art photographique? Quand votre aventure artistique a-t-elle commencé ?
Chadli Si-Mohamed : Depuis toujours, j’ai été une personne très curieuse et avide de découvertes. Très tôt, à l’adolescence, j’ai eu la chance d’être initié à la photographie argentique, ce qui a marqué le début de mon voyage dans cet art fascinant. Manipuler un appareil, comprendre la composition et attendre avec impatience le développement des images ont été des étapes fondatrices qui m’ont sensibilisé à la magie de la photographie.
En explorant cet univers, j’ai rapidement pris conscience de la grammaire de l’image, de son langage et de sa capacité à transmettre des émotions, des idées et des histoires sans mots. J’ai compris que chaque cadrage, chaque lumière et chaque ombre pouvaient influencer la perception du spectateur. Plus qu’un simple enregistrement du réel, la photographie est un medium puissant qui façonne notre vision du monde.
Cette prise de conscience s’est renforcée lorsque j’ai découvert les grands noms de la photographie : Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Robert Capa, Georges Rodger, Steve McCurry, Sebastiao Salgado, etc. Leurs œuvres m’ont émerveillé et inspiré. Ils m’ont appris que l’image peut capturer l’instant décisif, révéler l’âme d’un lieu ou d’une personne, et parfois même changer notre regard sur une époque ou un événement.
J’ai également été frappé par la fascination que l’image exerce sur le public. Une simple photographie peut provoquer des réactions fortes, évoquer des souvenirs ou soulever des questionnements profonds. Ce pouvoir de l’image m’a convaincu que la photographie ne se limite pas à une esthétique : elle est aussi un outil de communication et d’expression universelle.
Avec le temps, j’ai découvert une autre dimension essentielle de la photographie : son rôle artistique et pédagogique. Elle est un objet de mémoire, capable de témoigner du passé, de transmettre des récits et d’éduquer les générations futures. Que ce soit dans le cadre documentaire, historique ou personnel, elle fige le temps et offre une trace durable de notre humanité.
C’est cette richesse infinie qui m’a définitivement conduit à l’art photographique. Aujourd’hui, chaque cliché que je prends est une quête de sens, une manière de capter l’instant et d’écrire une histoire visuelle qui, je l’espère, pourra toucher ceux qui la regardent.
Mon aventure artistique a commencé très tôt, dès mon adolescence, où je pratiquais la photographie en tant qu’amateur passionné. Fasciné par l’image et son pouvoir expressif, j’ai découvert par la suite la photographie argentique dans un cadre associatif, ce qui m’a permis de perfectionner ma pratique tout en partageant mes connaissances avec d’autres passionnés. Très vite, j’ai eu l’opportunité d’encadrer des ateliers de photographie, une expérience enrichissante qui a renforcé mon engagement dans cet art.
Parallèlement, ma passion pour la photographie s’est intégrée à mon parcours universitaire. Étudiant en biologie et physiologie végétales, j’ai utilisé l’image comme outil de recherche et d’analyse, explorant la photographie scientifique pour observer et documenter les structures végétales. Cette approche m’a ouvert de nouvelles perspectives sur la photographie, me permettant de concilier rigueur scientifique et sensibilité artistique.
Mon attrait pour l’image ne s’est pas arrêté là. J’ai eu la chance d’enseigner les techniques d’expression et de communication, notamment l’expression photographique, dans différentes structures, et particulièrement à l’université. Transmettre ce savoir, aider les étudiants à développer leur propre regard et leur sens de la composition ont été des expériences très enrichissantes.
Bien sûr, la photographie reste avant tout un moyen d’expression personnelle. En tant qu’auteur-photographe, elle me permet de raconter des histoires, de capturer des instants uniques et de partager ma vision du monde. Chaque cliché est le reflet d’une émotion, d’une réflexion, d’un dialogue entre moi et mon sujet.
De ce fait, mon aventure artistique s’est construite progressivement, mêlant apprentissage, transmission et création personnelle. Aujourd’hui encore, elle continue d’évoluer, portée par la même passion qui m’anime depuis mes débuts.
Cette immersion dans l’art photographique est donc le fruit d’une évolution constante, nourrie par mes expériences personnelles, académiques et professionnelles, visant à utiliser l’image comme vecteur d’éducation, de culture et d’identité.

Si Mustapha, ramendeur à M’Diq- Tétouan – Octobre 2010 – ©C. Si-Mohamed
Italiatelegraph : Vous êtes un artiste de la diaspora marocaine, vivant en France, pourtant on voit que le Maroc est au cœur de votre œuvre photographique, est-ce par nostalgie, par nécessité artistique (diversité du Maroc) ou par attachement culturel?
Chadli Si-Mohamed : mon travail photographique centré sur le Maroc n’est en aucun cas une démarche nostalgique. Bien que je vive en France depuis plusieurs décennies, je n’ai jamais oublié ni mon pays d’origine ni celui qui m’a accueilli, où j’ai poursuivi une partie de ma formation académique et construit ma carrière professionnelle. Mon regard sur le Maroc s’inscrit dans une dynamique bien plus profonde, qui dépasse la simple réminiscence du passé.
Si le Maroc est au cœur de mon travail, c’est avant tout par nécessité artistique. Je suis convaincu que l’art est une nécessité pour l’Homme, un besoin vital, non seulement pour son expression personnelle mais aussi pour les autres. L’artiste joue le rôle de guide, de passeur d’images et d’émotions, permettant à chacun de découvrir un univers, d’explorer une mémoire collective et parfois même de faire ressurgir des souvenirs enfouis. À travers mes photographies, je tente de donner à voir un Maroc multiple, riche de sa diversité et de son histoire, tout en y inscrivant mon regard singulier.
Mais ce travail repose également sur un attachement culturel profond. Pour moi, il est inconcevable de s’éloigner de sa culture, car elle est le ciment de l’identité. La culture façonne notre manière de voir le monde, d’interagir avec lui et de transmettre notre héritage. C’est cette conviction qui m’encourage à photographier le Maroc sous toutes ses facettes : ses paysages, ses visages, ses traditions, son quotidien en perpétuelle évolution.
Enfin, l’un des moteurs essentiels de ma démarche est le partage avec le public, notamment celui de la diaspora marocaine et maghrébine. Certains en sont éloignés, d’autres y restent profondément ancrés, mais tous ont en commun une histoire et des repères culturels structurants. À travers mes images, je cherche à raviver ces éléments, à créer du lien, à offrir une vision artistique qui, je l’espère, résonne avec leur propre vécu. Ainsi, je considère que mon travail photographique est une passerelle entre deux rives, un dialogue visuel qui témoigne de mon double ancrage et qui contribue, à ma manière, à nourrir une mémoire collective partagée

Génies2 – Tétouan – Août 2019 – ©C. Si-Mohamed
Italiatelegraph : Qu’est-ce qui caractérise l’œuvre photographique de Chadli SI-MOHAMED, d’un point de vue technique, esthétique, thématique?
Chadli Si-Mohamed : mon œuvre photographique se distingue par une approche rigoureuse et sensible, articulée autour de trois axes fondamentaux : technique, esthétique et thématique.
Sur le plan technique, mon travail repose sur une maîtrise approfondie des bases de la photographie et de la grammaire de l’image. J’accorde une grande importance à la composition, à la lumière et aux contrastes pour donner à chaque cliché une profondeur et une lisibilité optimale. Mon approche s’appuie sur un équilibre entre rigueur technique et spontanéité, permettant de capter l’instant avec précision tout en conservant une dimension artistique forte.
D’un point de vue esthétique, mon regard se construit à travers l’exploitation des éléments naturels et des cadrages soigneusement choisis pour guider l’œil du spectateur. La lumière, les lignes, les textures et les couleurs jouent un rôle central dans la construction de mes images, créant des compositions harmonieuses et expressives. Mon travail met en avant la notion d’instant et de proximité, cherchant à capter le moment décisif où le sujet, la lumière et le cadre s’alignent pour donner naissance à une image puissante.
Sur le plan thématique, j’explore une grande diversité de sujets, ce qui confère à mon travail une richesse particulière. Je m’intéresse aussi bien aux espaces naturels qu’aux espaces humanisés, mettant en lumière la relation entre l’Homme et son environnement. Mon travail englobe également le patrimoine au sens large, qu’il s’agisse d’éléments architecturaux, culturels ou immatériels. Les espaces maritimes, la vie quotidienne et les créations humaines font aussi partie de mon univers photographique, traduisant mon désir de témoigner d’un monde en constante évolution.
À travers cette approche, mon travail photographique s’inscrit dans une démarche à la fois sensible et artistique, cherchant à capturer la beauté du réel tout en y apportant un regard personnel et engagé. Mes images sont ainsi une invitation à la contemplation, à la réflexion et au dialogue avec le spectateur.

Respects mutuels – Tanger – Avril 2010 – ©C. Si-Mohamed
Italiatelegraph : Où est-ce qu’on peut situer l’artiste Chadli SI-MOHAMED dans le paysage artistique franco-marocain?
Chadli Si-Mohamed : la photographie au Maroc connaît un essor remarquable depuis plusieurs décennies, témoignant d’une richesse artistique et d’une diversité de regards sur le pays. Elle oscille entre photographie documentaire, artistique et expérimentale, capturant la complexité d’un Maroc en mutation. Dès le XXe siècle, des photographes marocains et étrangers ont documenté les paysages, l’architecture et les traditions, souvent avec un regard orientaliste. Cependant, la scène photographique contemporaine s’émancipe de ces représentations pour proposer des œuvres plus introspectives et engagées.
Aujourd’hui, la photographie marocaine s’impose sur la scène internationale grâce à des artistes qui explorent des thématiques telles que l’identité, la mémoire et la modernité. Des festivals comme « les rencontres de la photographie de Marrakech » ou « la Biennale de Rabat » participent à cette dynamique en offrant une visibilité aux photographes émergents et confirmés.
Dans ce contexte, je pense personnellement que j’occupe une place particulière dans le paysage artistique franco-marocain. Auteur-photographe, pédagogue, de formation académique scientifique, installé en Europe depuis des décennies et fortement imprégné par la pratique de l’image et des pratiques culturelles, mon travail transcende les frontières et mêle influences orientales et occidentales. À travers mes clichés, j’interroge la dualité culturelle et le dialogue entre tradition et modernité. Mon approche artistique, souvent marquée par une sensibilité picturale, confère à mes œuvres une dimension universelle qui résonne tant en France qu’au Maroc.
Mon parcours atypique et diversifié illustre les échanges artistiques entre les deux rives de la Méditerranée, mettant en lumière l’évolution de la photographie comme langage visuel et moyen d’expression identitaire. En capturant des fragments de mémoire et d’histoire, je m’inscris ainsi dans une tradition photographique marocaine en pleine expansion, tout en y apportant une signature singulière et contemporaine.

Connection – Médina Tétouan – Août 2019 – ©C. Si-Mohamed
Propos recueillis par Mustapha Taleb.






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