Rachid Hamimaz
Dans une publication précédente, j’ai rapporté une parole toute récente du Shaykh Sidi Jamal, qu’Allah précipite sa guérison complète, prononcée alors qu’il se rétablissait, par la grâce de Dieu, dans une clinique de la ville d’Oujda. Le lien vers ce texte est disponible ici :
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Cette parole de Sidi Jamal est claire et sans équivoque :
« Celui qui ne se remet pas à Sidi Mounir, je ne l’approuverai ni dans ce monde ni dans l’au-delà. Celui qui sait comment se comporter avec lui en tirera bénéfice et profit. Suivez-le, suivez-le, suivez-le. »
Un héritage confirmé à Al Hoceïma
Il y a plus d’une année, alors que Sidi Jamal était en visite auprès des fuqaras de la ville d’Al Hoceïma, dans la région du Rif marocain, il s’adressa à un disciple de Rabat, accompagné d’autres disciples, et leur dit :
« Sidi Mounir est un Or pur, et tout comme le shaykh Haj Abbas, puis à sa suite mon père le shaykh Sidi Hamza, l’ont cautionné (ḍaminūhu), moi aussi, à mon tour, je le cautionne. »
Ces paroles, prononcées à des moments et dans des circonstances différentes, convergent vers une même vérité : Sidi Mounir est un trésor spirituel, un héritier authentique de la voie soufie, cautionné et confirmé par une lignée de saints qui ont porté cette lumière à travers les générations.
Élucider deux vérités profondes
Ce texte que j’ai décidé d’écrire vise à mettre en lumière deux vérités essentielles exprimées par Sidi Jamal. Bien évidemment ce texte exprime le regard d’un disciple sur Sidi Mounir — une lecture personnelle, sincère mais humaine :
1. “Celui qui sait comment se comporter avec lui en tirera bénéfice et profit.”
2. “Sidi Mounir est un “Or pur “.
Ces deux affirmations révèlent que la connaissance de Sidi Mounir ne peut se limiter à une observation superficielle ou à des jugements fondés sur des critères relatifs. Pour vraiment connaître Sidi Mounir, il faut le reconnaître au-delà des apparences, dans les profondeurs spirituelles où se cache l’Or pur qu’il incarne.
L’Or pur dont parle Sidi Jamal n’est pas visible aux yeux de celui qui observe avec des critères mondains ou limités. Il est caché dans la subtilité des mawâqif (situations révélatrices), dans les gestes de générosité discrète, dans les sacrifices silencieux, et dans les choix empreints de sagesse que seul un cœur éveillé peut percevoir.
Celui qui sait se comporter avec lui, avec adab, humilité et discernement, est celui qui découvre ce trésor et en tire profit — dans ce monde et dans l’au-delà. Car suivre Sidi Mounir, c’est suivre une voie d’élévation qui ne peut être pleinement comprise qu’avec un cœur pur et une vision intérieure aiguisée .
Sidi Mounir : Une incarnation vivante du testament spirituel
Que remarque-t-on chez Sidi Mounir après toutes ces années passées en sa compagnie ? Ce que nous pouvons dire ne se limite pas au testament laissé par les saints, parmi lesquels les dernières recommandations du Shaykh Sidi Jamal. Ce testament, par sa profondeur, dépasse notre compréhension et notre capacité à en saisir pleinement la portée. Pourtant, le faquir sincère et dévoué ne peut que l’accueillir avec obéissance et humilité. Ce que nous pouvons faire, c’est donner à ce testament une réalité tangible, l’incarner dans la vie quotidienne. Et c’est précisément cela que nous voyons en Sidi Mounir : une incarnation vivante de ce testament, perçue par ceux qui ont eu la grâce de le côtoyer. Le testament est sacré, mais sa véritable crédibilité se vérifie dans la réalité des comportements. Et cette crédibilité se manifeste dans la manière dont Sidi Mounir agit avec les gens, les fuqaras, son entourage. Le testament s’accorde-t-il avec l’excellence des comportements et des vertus de Sidi Mounir ? La réponse est évidente pour quiconque l’a connu.
Un détachement du monde matériel
Sidi Mounir vit détaché de la matière, à une époque où tant d’hommes courent après elle. Un disciple qui l’a fréquenté depuis des décennies raconte : “Il vit toujours dans la même pièce de la maison de son père, celle où nous l’avons rencontré pour la première fois il y a 40 ans. Même pièce, même armoire. Il n’a aucun bien ou appartement ailleurs، ni aucune voiture de valeur ». Malgré les responsabilités considérables qu’il porte pour le rayonnement de la voie soufie — comme l’organisation du Colloque mondial du soufisme — Sidi Mounir vit dans une simplicité extrême. Cette modestie va même jusqu’à lui imposer des dettes importantes contractées pour servir le rayonnement de la voie et qu’il ne peut honorer, tant son cœur est tourné vers l’essentiel, loin des préoccupations matérielles. Sidi Mounir continue de donner, alors même que les dettes l’enserrent de toutes parts. S’il est une constante lumineuse qui traverse la lignée des maîtres de la voie — du Haj Abbas à Sidi Hamza, de Sidi Jamal à Sidi Mounir, héritier du secret spirituel de ses ancêtres — c’est bien le détachement absolu à l’égard du monde matériel. Ce dernier n’a jamais eu de place dans leur cœur. Il n’est pour eux qu’un simple instrument entre les mains, mis au service du Bien, sans attachement ni illusion. Lorsqu’ils le recherchent, ce n’est jamais pour eux-mêmes, mais pour nourrir, entretenir, élever, soulager, offrir. L’amour de la matière et de la domination ne peuvent cohabiter avec l’amour de Dieu dans le cœur des saints : là où s’installe la Présence, tout désir de possession se dissout.
Une générosité sans limites
Un autre disciple qui l’a bien connu témoigne : “La vie matérielle ne trouve aucune place dans son cœur. Sidi Mounir n’a jamais d’argent dans ses poches. Tout ce qu’il reçoit, il le donne.” Cette générosité n’est pas un simple acte, mais un état d’être. Un autre disciple me confia un jour : “Sidi Mounir est d’une générosité exceptionnelle…il faut vivre à ses côtés pour prendre la mesure de ce que je dis !”. Un autre disciple, témoin de cette discussion, ajouta : “Lorsque tu entres chez Sidi Mounir, tu ne repars jamais les mains vides, qui que tu sois. Tu sors toujours avec quelque chose : un parfum, un cadeau, un signe de son attention.”
Mais sa générosité ne s’arrêtait pas aux visiteurs. Les habitants du village modeste d’Al-Harcha, voisin de la zaouïa mère, venaient le voir et repartaient les bras chargés de dons. Il en allait de même pour les indigents de la zaouïa, dont il prenait soin avec une attention particulière. Ses poches ne restaient jamais pleines, car son cœur était constamment tourné vers les autres. Ses biens matériels disparaissaient rapidement, dispersés au gré de sa générosité infinie. Il disait souvent à un disciple proche : “je n’ai pas mais je donne et je dois donner ».
Une humilité qui transcende les situations
“L’adab de Sidi Mounir ne peut être pleinement compris qu’à travers les mawâqif (situations révélatrices), car le soufisme est avant tout fait de mawâqif et non de ‘awâṭif (émotions passagères). Un jour, des responsables de la voie demandèrent à rencontrer Sidi Mounir à la zaouïa d’une des villes du Royaume. Ils lui dirent : “Tu es étudiant, mais nous, nous sommes les responsables désignés par Sidi Hamza. Les réunions de dhikr relèvent de notre autorité.” Ils voyaient dans la dynamique impulsée par Sidi Mounir avec les fuqaras une forme d’empiètement sur leurs prérogatives. L’un d’eux alla même jusqu’à lui dire : “Tu n’es qu’un disciple comme nous, ni plus et ni moins.”
Sidi Mounir les écouta, tête baissée, avec une patience infinie. Puis il répondit humblement : “Je vous suis reconnaissant. Je suis effectivement l’un d’entre vous. Si vous souhaitez que je cesse d’organiser des réunions de dhikr, je m’y conformerai volontiers. Je me contenterai désormais de poursuivre mes études.” Pendant deux heures, il resta la tête baissée, sans jamais chercher à faire valoir son statut de petit-fils du Shaykh. À la fin il se leva, leur embrassa la tête et leur demanda de lui pardonner. Cette posture de longanimité, empreinte d’une humilité rare, est l’une des facettes les plus nobles de sa personnalité.”
Un cœur proche des plus démunis
La noblesse de Sidi Mounir se manifeste aussi dans son souci constant pour les plus démunis. Lors des repas organisés à la zaouïa, alors que tout le monde était concentré sur le partage, Sidi Mounir prélevait discrètement une partie du repas et demandait à ce qu’on l’apporte à une personne indigente, souvent recroquevillée dans un coin, absorbée dans sa prière. Il ne pouvait manger en paix s’il savait qu’un être à proximité souffrait de la faim. Son cœur était toujours proche des plus faibles, des misérables, des oubliés. Pour lui, aucun être n’était insignifiant, et il veillait à ce que personne ne soit laissé pour compte.
Un disciple parmi les indigents me raconta : un jour, nous étions assis avec Sidi Mounir et des disciples intellectuels, discutant des affaires de la tarîqa dans la ville de Rabat. J’avais donné mon point de vue, lorsque l’un des disciples s’en prit à moi, m’agressant verbalement d’une manière inacceptable. Sidi Mounir me demanda si j’avais quelque chose à dire. Je restai silencieux, puis je lui répondis : “Je pourrais répondre à cette agression, mais ce qui m’a empêché de le faire, c’est votre présence et la politesse que je cultive à votre égard. Votre présence m’interdit de répondre sur le même ton, car cela ne serait pas conforme à l’éducation et à la politesse exigées dans le cadre d’une tarîqa dont la mission première est l’éducation spirituelle.”
Sidi Mounir prit alors ma défense et répondit à ce disciple en lui disant : “La tarîqa n’a pas besoin de l’intellectuel pour être ce qu’elle est. La voie est avant tout un chemin d’éducation, elle forme, façonne et élève les âmes… Alors dis-nous : qu’as-tu réellement gagné de cette voie ?”
Ce jour-là, j’ai vu chez Sidi Mounir un trait éclatant de sa personnalité : une jalousie noble, une protection inébranlable envers les plus faibles. Il ne supportait pas qu’un disciple dans le besoin soit humilié ou méprisé, et son cœur était toujours du côté des démunis.”
Un disciple me confia un jour : “Les démunis, c’est Sidi Mounir qui les cherche.” Il me raconta qu’une fois, Sidi Mounir établit une liste de personnes dans le besoin — des indigents et des pauvres qu’il avait soigneusement repérés, même parmi ceux qui ne faisaient pas partie des disciples. Il me dit alors :
“Sidi Y, nous devons trouver un mouton pour chacune de ces personnes pour l’Aïd. C’est impératif. Ils n’ont rien.”
Ce n’était pas une simple intention pieuse, mais un engagement concret. Cette liste comprenait des dizaines, parfois des centaines de noms, et les moutons étaient acheminés jusqu’à des villes lointaines pour que personne ne soit oublié. Sidi Mounir ne se contentait pas d’aider ceux qui frappaient à sa porte : il allait à la recherche des plus démunis, ceux que la dignité empêchait parfois de demander de l’aide. C’est ainsi que, année après année, il veillait à ce que chaque indigent puisse célébrer l’Aïd avec dignité.
Un cœur qui ne garde rien pour lui
Récemment, je suis allé lui rendre visite. Un disciple lui avait apporté quelques pots de miel qu’il avait soigneusement collectés, fruit d’une récolte modeste provenant de quelques ruches qu’il possédait. Ce miel représentait beaucoup pour lui, mais il l’offrit à Sidi Mounir avec sincérité.
À peine avait-il déposé les pots que Sidi Mounir tira des billets de sa poche et les lui tendit. Le disciple, pris au dépourvu, s’empressa de refuser : “Non, Sidi, je ne l’ai pas fait pour recevoir de l’argent en retour.” Mais Sidi Mounir lui répondit avec douceur : “Toi, tu m’as donné le produit de ta modeste récolte, et la réciprocité exige que je te donne à mon tour”.
Sidi Mounir ne pouvait accepter un don, aussi humble soit-il, sans rétribuer celui qui l’offrait. Son cœur ne supportait pas de prendre sans donner en retour, car il savait que la dignité d’un homme réside autant dans ce qu’il donne que dans la manière dont il reçoit. C’était là une manifestation éclatante de sa noblesse d’âme et de son souci profond pour l’équité et la reconnaissance envers ceux qui lui témoignaient leur amour.
Sidi Mounir, un miroir vivant du testament
En vérité, les vertus de Sidi Mounir ne se limitent pas à des paroles ou des discours. Elles se révèlent dans ses actes, dans les mawâqif où la réalité de l’âme se manifeste. C’est à travers ces situations, grandes ou modestes, que nous comprenons que Sidi Mounir n’a jamais cherché à incarner le testament laissé par les saints… Il l’a simplement vécu, naturellement, humblement, et c’est ainsi qu’il en est devenu le miroir vivant.
Sidi Mounir : Une présence qui touche toutes les sphères de la société
Lors d’une précédente intervention à la zaouïa de Rabat, Sidi Ahmed Kostass avait souligné que le disciple devait cultiver une qualité fondamentale : le taslīm — l’abandon et la soumission du cœur et qu’il était essentiel d’être pleinement musallam (abandonné à Dieu) dans notre relation avec tous, et de manière spécifique envers (abandon spécifique) notre shaykh ou son héritier.
Ses attitudes, même si elles nous semblent irrationnelles, irréalisables ou contraires à toute logique apparente, exigent un abandon confiant. Car c’est dans cet abondant que réside l’absence de jugement fatal à notre parcours et l’élévation.
Un exemple frappant de l’ouverture de Sidi Mounir à toutes les composantes de la société se manifeste dans son attrait apparent pour le football et les manifestations sportives, qu’il s’agisse du club de la Renaissance de Berkane ou de l’équipe nationale de football. Un ancien disciple raconte :
“Il y a quelque temps, un disciple m’a interrogé : « Sidi X, je suis intrigué par l’investissement de Sidi Mounir dans le football, son soutien au club de Berkane… » Je lui ai répondu : « C’est vrai qu’il aime le football. Mais Sidi Mounir appartient à tous : au footballeur, au musicien, à l’ivrogne, à l’obéissant comme au désobéissant. Tu n’as jamais remarqué comment, à la zaouïa, il accueille les musiciens, les chanteurs, et tant d’autres ? Les Africains subsahariens, Maliens, Sénégalais, finissent presque tous par rejoindre la voie soufie après avoir été touchés par sa bienveillance et sa générosité ». Et je lui ai ajouté : “Le club de Berkane avait traversé d’énormes difficultés financières, et Sidi Mounir est intervenu en contribuant avec une somme pour aider le club à reprendre son souffle. Cette intervention a eu un impact profond : elle a permis aux supporters du club de changer leur regard sur la zaouïa. Jadis perçue avec indifférence, voire parfois avec une certaine hostilité par les habitants de Berkane, la zaouïa est désormais vue sous un jour nouveau, suscitant respect et considération. Sidi Mounir est toujours dans une attitude d’appel à Dieu, quelles que soient les circonstances. Si l’on a compris cela, alors on a véritablement compris qui est Sidi Mounir”.
Cette perception a été récemment confirmée par Sidi Mounir lui-même lors de sa récente venue à Rabat. Alors que nous étions assis à table avec lui, il nous confia :
« Certains s’étonnent que je m’intéresse autant au football. Il est vrai que j’aime le football, mais pas au point d’en être passionné de manière excessive. Ce qu’ils ignorent, c’est l’impact que cela a sur l’image de la voie. Pendant longtemps, les gens nous percevaient comme des ermites retranchés dans la zaouïa, éloignés des réalités sociales. Mais en assistant à ces matchs, nous devenons comme eux, présents là où la vie bat son plein. À chaque fois que j’assiste à un match, des dizaines de travailleurs dans le stade — femmes de ménage, balayeurs, ramasseurs de ballons — viennent me voir à la fin, sollicitant mon aide et celle de la zaouïa. Et je leur donne. À chacune de mes participations en tant que spectateur, je dois remplir ma poche d’au moins 3000 dirhams pour pouvoir les distribuer aux nécessiteux. Cet intérêt que je manifeste envers les habitants de Berkane pour leur club n’est pas un simple engouement, c’est une démarche consciente visant à corriger l’image de la zaouïa. C’est précisément pour cette raison que les fuqaras ne devraient pas me juger, sous prétexte que ce comportement ne semble pas, en apparence, relever de la spiritualité”.
Mais Sidi Mounir voit aussi dans le football un terrain d’expérimentation des valeurs spirituelles. Sur le terrain s’expriment la solidarité, l’entraide, l’abnégation, la patience, l’humilité : on joue collectif, on crée des occasions pour ses coéquipiers, on garde son calme face aux provocations, on pardonne, on s’efface pour le bien de l’équipe. Pour lui, le football ne se résume pas à un spectacle ou à la victoire d’un club : il y perçoit un reflet des principes qu’il défend. Quand une équipe incarne ces valeurs nobles, elle devient l’ambassadrice de son pays, non seulement par ses performances, mais aussi par son esprit de chevalerie. Un disciple qui regarde un match avec cet état d’esprit y voit le reflet de sa propre progression — ou de sa stagnation. Cela l’invite constamment à l’introspection.
Nous touchons ici un point crucial : le regard des saints de Dieu est-il semblable au nôtre ? Et comment prétendre en mesurer la portée ou en juger la justesse, alors même que nous ignorons les critères profonds qui le fondent ? Ce regard échappe à nos repères habituels ; il puise à une source qui nous dépasse. Si nous croyons que la perfection existe en dehors de nous, comment prétendre que notre propre imperfection puisse offrir une mesure de jugement juste et équilibrée ?
Le soufi, fils de son temps : une présence au cœur de la société
Nous touchons ici à un aspect essentiel du soufisme à notre époque : comment peut-on appeler les gens à la voie de Dieu si nous ne leur montrons pas que nous sommes comme eux, que nous partageons leurs préoccupations, leurs intérêts et leurs loisirs ? Peut-on espérer toucher les cœurs en parlant à une société tout en la regardant de haut, perchés au sommet de la montagne, en l’appelant à nous rejoindre ?
Non, cela ne fonctionne pas ainsi. Il faut descendre vers les gens, se mêler à eux au niveau le plus humble de la société pour, ensuite, les élever progressivement vers des horizons plus élevés. C’est dans cette proximité sincère que germe la conscience d’une autre réalité, celle de la voie vers Dieu. Ainsi ont toujours agi les saints, et ainsi a agi le premier d’entre eux, le Prophète (ﷺ). Relisons sa biographie : nous y trouverons un modèle vivant d’une proximité authentique avec les gens de toutes conditions, un engagement profond avec leur réalité sociale, économique et spirituelle.
Quelle crédibilité aurait notre discours si nous restions imperméables aux préoccupations des gens ? Comment espérer être un vecteur de transformation si nous restons étrangers à leurs souffrances, leurs espoirs et leurs aspirations ? Le véritable soufi ne vit pas en marge de son époque ; il est le fils de son temps — un enfant de la société dans laquelle il vit, pleinement conscient des réalités de son époque, mais capable de les transcender pour ouvrir aux âmes une porte vers la lumière. Cette sagesse millénaire, transmise à travers les générations, nous rappelle que “le soufi est le fils de son temps”, ancré dans son époque et sa société, tout en étant le guide qui éclaire la voie vers des horizons plus élevés.”
Sidi Mounir : La sincérité et la vérité, sans détour
Parmi les traits distinctifs de Sidi Mounir, que l’on perçoit clairement à travers ce portrait, se trouvent la sincérité (ṣidq) et la franchise (ṣarāḥa). Lorsqu’il voit quelqu’un commettre une erreur ou s’écarter de la droiture, il le lui dit immédiatement, sans détour ni artifice. Ses paroles, dépouillées de tout embellissement, peuvent parfois surprendre ou choquer, mais pour lui, le vrai est vrai et le faux est faux (al-ḥaqq ḥaqq wa al-bāṭil bāṭil). Il ne cache rien, ne voile aucune vérité, même si cela peut paraître abrupt.
Cependant, cette fermeté ne laisse jamais place à la rancune. Le lendemain, il appelle la personne à qui il a dit les quatre vérités et efface tout. Il ne garde aucun ressentiment dans son cœur. Comme il le dit lui-même : “Je brûle et je cautérise immédiatement.”. Il agit avec droiture et justice, et s’il réprimande quelqu’un, c’est uniquement parce que cette personne a réellement commis un impair. Il n’y a chez lui ni injustice ni excès, seulement un souci sincère de ramener à la vérité.”
Un cœur qui pardonne même dans l’épreuve
Un disciple interrogé me confia :
« Sidi Mounir a traversé une épreuve douloureuse lorsque certains ont tenté de lui porter tort auprès du Shaykh Sidi Hamza. Cette trahison lui causa une blessure profonde, une douleur immense. Pourtant, malgré cette injustice, il passa outre, pardonna et ne retint aucun grief contre ceux qui lui avaient causé du tort ».
Bien plus encore, lorsque ces mêmes personnes, qui l’avaient blessé, furent elles-mêmes soumises à des épreuves difficiles — et notamment au courroux de Sidi Hamza pour des comportements inappropriés — Sidi Mounir fut le premier à les défendre corps et âme. Il devint leur avocat auprès de Sidi Hamza, plaidant en leur faveur, oubliant tout le mal qu’ils lui avaient fait. Ce jour-là, nous avons vu la grandeur de son âme, une âme qui dépasse la rancune et embrasse le pardon dans sa forme la plus noble.”
On entend souvent Sidi Mounir citer ce hadith en disant : “Voilà la tarîqa de notre Prophète, voilà la voie soufie.” Il ne se contente pas de le rappeler : il s’efforce, avec intensité et sincérité, d’en incarner l’essence. Ce hadith, qui appelle à l’excellence intérieure, trace le chemin de la sainteté — un chemin de dépouillement, de dépassement de soi, et de libération des attaches du monde sensible. Il nous invite à nous élever vers le monde des âmes pures, les proches de Dieu, Ses alliés.
« Renoue avec celui qui a rompu les liens avec toi. Pardonne à celui qui t’a fait du tort. Donne à celui qui t’a privé. » (Hadith)
Le pardon humain et la justice divine : une réalité spirituelle profonde
Mais nous devons, en même temps, méditer profondément sur ces paroles révélatrices que Sidi Jamal confia à l’un de ses proches :
“Moi, en tant qu’être humain, je pardonne toujours, mais la station (maqām) peut ne pas pardonner.”
Ces paroles, lourdes de sens, révèlent une vérité spirituelle profonde : ainsi est la sainteté. Le saint, en tant qu’être humain façonné par la miséricorde divine, pardonne inlassablement, car son cœur est le reflet de la compassion infinie de Dieu. Mais la station spirituelle du saint, elle, appartient à Dieu et, dans cette station, c’est la justice divine qui peut prévaloir. Le saint est un canal de la miséricorde divine, mais il est aussi un témoin de la vérité, et la vérité peut exiger un jugement que la compassion humaine ne peut suspendre.
L’histoire du soufisme regorge d’exemples où des saints, malgré leur pardon sincère et leur douceur infinie envers ceux qui les ont offensés, ont vu la justice divine s’exercer au-delà de leur volonté. Un des exemples les plus impressionnants est l’histoire de Moulay Larbi Darqaoui et de la métaphore de la pastèque. Car le saint, dans son maqām, n’agit pas de son propre chef : il est soumis à la volonté de Dieu. Et lorsque la vérité divine demande réparation ou rétribution, le saint ne peut s’interposer, car le maqām appartient à Dieu, et non à l’homme.
C’est dans cette tension subtile entre la miséricorde du saint et la justice divine agissant à travers lui que réside le mystère de la sainteté. Celui qui croit avoir échappé à la sanction par le pardon humain du saint peut, sans le savoir, se heurter à la rigueur de la vérité divine, qui agit selon des lois que seule la sagesse infinie de Dieu connaît.
Nous connaissons tous, je le disais, cette histoire impressionnante du maître soufi et gnostique marocain Moulay Larbi Darqaoui (fin du XVIIIe – début du XIXe siècle).
Un jour, alors qu’il venait de se faire raser le crâne chez le coiffeur, un homme se moqua de lui en posant sa main sur sa tête nue, s’écriant avec dérision :
« Quelle pastèque ! »
Les gens, choqués par l’audace de cette moquerie, accoururent chez Moulay Larbi pour l’implorer de lui pardonner.
Il répondit calmement :
« Bien sûr, ce n’est rien du tout. »
Mais le lendemain, on retrouva cet homme pendu chez lui.
Interloqués, les disciples revinrent voir Moulay Larbi :
« Mais Sidi, tu lui avais pourtant pardonné… »
Il leur répondit :
« Oui, moi je lui ai pardonné… mais le propriétaire de la pastèque, lui, a été jaloux pour sa pastèque. »
Conclusion : Un héritage incarné avec noblesse
Résumer les valeurs de Sidi Mounir en quelques lignes est une tâche ardue, tant sa personnalité est riche et profonde. Ce que nous avons tenté ici, c’est de mettre en lumière certains traits distinctifs de sa nature à travers des mawâqif — des situations difficiles et pénibles où la vérité des âmes se révèle — afin de mieux comprendre que l’héritier spirituel de ses illustres ancêtres n’a jamais usurpé sa position.
Toutes choses égales par ailleurs, tout comme les compagnons du Prophète (ﷺ) qui, après l’avoir observé de près dans les moindres détails de sa vie quotidienne, ne pouvaient que confirmer la parole divine :
{وَإِنَّكَ لَعَلَىٰ خُلُقٍ عَظِيمٍ}
‘Et tu es certes d’un caractère sublime.’ (Sourate Al-Qalam, 68 : 4)
Les fuqaras qui ont côtoyé Sidi Mounir au fil des années ne peuvent qu’attester de la véracité de son héritage. À travers son humilité, sa générosité, son courage moral et sa proximité sincère avec les plus démunis, Sidi Mounir incarne cet héritage avec une noblesse qui dépasse les mots. Sa position n’est pas un titre hérité, mais une réalité vécue et éprouvée, reconnue par ceux qui ont été témoins de sa grandeur, non seulement dans les discours, mais surtout dans les actes.