Les lacunes d’application dans l’opération de libération du domaine public et la mise fin à la situation d’occupation

italiatelegraph

 

 

 

* Dr. Abdellah Chanfar

 

 

La grande lacune d’application dans la mise en œuvre de l’article 64 de la loi n°66-12 (promulguée par le Dahir n°1-16-124 du 25 août 2016), relative au contrôle et à la répression des infractions en matière d’urbanisme et de construction, constitue l’une des principales causes:
1. de l’exécution des opérations de libération sans fondement juridique complet (service incomplet, non modificatif de la situation juridique);
2. de la perte du droit de l’administration à recouvrer les frais de déplacement et de démolition ;
3. de l’affaiblissement de la position juridique de l’autorité administrative territoriale face aux moyens de défense ou recours judiciaires.
Cependant, cette situation soulève une question qui, tout en paraissant simple, est d’une profondeur conceptuelle notable :
la lacune d’application dans la documentation des opérations de libération du domaine public révèle-t-elle seulement un déficit dans les mécanismes d’exécution de la loi, ou bien traduit-elle un vide symbolique dans la structure même de l’autorité, un vide qui permet à l’État d’exercer sa présence dans l’espace commun sans mémoire écrite — transformant ainsi la force exécutive en pratique nue, susceptible d’être retournée contre ses agents à travers des plaintes malveillantes ?
I. Le problème juridique tel qu’il se manifeste dans la pratique
L’article 64 stipule explicitement: « … L’autorité administrative locale peut procéder à l’opération de libération d’office et aux frais du contrevenant … »
L’article 70 précise encore: « … Lorsque les travaux consistent en la construction sur une propriété appartenant au domaine public ou privé de l’État ou des collectivités territoriales, ou sur des terres collectives, sans disposer de l’autorisation préalable requise, ou dans une zone non constructible selon les documents d’urbanisme, l’autorité administrative locale doit procéder à la démolition d’office et aux frais du contrevenant.
Cette démolition n’empêche pas l’engagement de l’action publique, ni ne conduit à son extinction si elle est en cours. »
Or, le recouvrement des frais auprès du contrevenant nécessite juridiquement ce qui suit:
* l’établissement immédiat, à la fin de l’opération de libération, d’un procès-verbal ou rapport informatif détaillé, adressé à :
* le gouverneur de la préfecture ou de la province (pour information hiérarchique) ;
* le procureur du Roi près le Tribunal de première instance (si nécessaire) ;
* le président du conseil communal (pour information ou pour requérir un ordre de recouvrement).
Ce rapport doit contenir:
* la qualité du rédacteur (officier de police judiciaire — caïd, pacha, khalifa, etc.) et la description des actions effectuées ;
* la nature de l’infraction ;
* le lieu, l’adresse, la date (grégorienne et hégirienne) et l’heure d’intervention ;
* les moyens mobilisés (main-d’œuvre, bulldozers, camions, outils, etc.) ;
* la quantité de matériel saisi ou retiré ;
* le coût détaillé : main-d’œuvre, transport, matériel ;
* une estimation des dépenses émise par le service technique ou une commission compétente ;
* l’émission subséquente d’un ordre de recouvrement administratif (ordre de recouvrement), puis la transmission aux services internes et financiers, ou au Trésor public le cas échéant.
Cependant, dans de nombreuses unités territoriales, la pratique s’arrête à la démolition ou au retrait matériel, sans établissement du procès-verbal des coûts — ce qui entraîne:
* l’incapacité de l’administration à recouvrer les dépenses;
* l’évasion du contrevenant de son obligation financière ;
* l’exposition des agents d’autorité à des plaintes pour destruction de biens sans preuve écrite justifiant l’opération.
D’où une question structurelle :
comment comprendre ce phénomène juridique et social où l’absence d’un seul procès-verbal peut transformer l’acte de libération en vulnérabilité judiciaire — une brèche exploitée pour reproduire le désordre par voie contentieuse, au point que l’État se retrouve poursuivi pour ce qu’il était censé protéger ?
II. Les effets négatifs de l’omission du procès-verbal
Cette omission entraîne:
* la perte de recettes publiques au profit des budgets locaux ou de l’État ;
* l’affaiblissement de la légitimité de l’intervention devant les tribunaux ;
* la réduction de l’opération à une simple « démolition » dénuée de fondement juridique ;
* la possibilité de poursuites contre les agents pour « destruction injustifiée ».
L’absence de procès-verbal ou de transmission du dossier à la procédure de recouvrement constitue ainsi une violation substantielle du cadre légal régissant la libération du domaine public.
III. La lacune d’application comme acte fondateur de l’ordre symbolique de l’État
L’espace public n’est pas un simple terrain ou un passage ; il est le tissu symbolique par lequel l’État exprime sa présence. C’est le corps visible de la communauté politique, sa mémoire vivante et son bien commun existentiel.
L’occupation de cet espace n’est donc pas seulement une transgression matérielle, mais une atteinte à la sacralité symbolique qui encadre la relation entre autorité et citoyen.
Lorsque l’État intervient pour libérer cet espace, il restaure une part de son autorité et de sa légitimité. Cependant, cet acte s’effondre devant le juge dès lors qu’il manque l’architecture juridique qui le transforme d’un « acte de force » en « décision de droit ».
1. Le paradoxe juridique : entre rigueur du texte et fragilité de la pratique
La loi confère à l’administration des pouvoirs étendus, mais seule la documentation juridique confère à l’acte son immunité. Libérer, ce n’est pas seulement enlever : c’est établir le droit.
1. Le procès-verbal : le récipient qui transforme la force en légitimité
Le procès-verbal n’est pas une formalité: il est la mémoire écrite de l’État au moment où il exerce son autorité. Sans lui, l’agent devient vulnérable aux plaintes malveillantes exploitant la brèche procédurale.
1. Sociologie de l’action administrative : le rite qui reproduit l’État
D’un point de vue socio-anthropologique, la libération est un rite de présence étatique dans l’espace commun. Ce rite perd sa portée dès lors qu’il n’est pas réalisé avec rigueur juridique : les procédures ne sont pas des formalités, mais l’éthique opérationnelle de l’État.
1. L’impasse actuelle : lorsque l’État devient une « bulldozer»
La pratique actuelle réduit souvent l’action de l’État à une image mécanique : démolir sans documenter. Les conséquences sont:
* perte financière ;
* affaissement juridique ;
* érosion symbolique ;
* fragilisation de toute intervention future.
Dans ce contexte, une troisième question s’impose :
dans quelle mesure les recours vindicatifs et plaintes malveillantes constituent-ils non seulement un abus de droit, mais une forme de “résistance au système”, mobilisée par les bénéficiaires du désordre pour vider l’acte de libération de sa signification souveraine — au point de transformer le tribunal en espace où se renégocie le pouvoir de l’État sur le domaine public ?
Conclusion: La logique de l’État face à la logique du désordre
La libération du domaine public est un affrontement entre :
* la logique du désordre silencieux, qui progresse par accumulation et infiltration ;
* et la logique d’un État serein, qui répond non par la force nue mais par la documentation, le procès-verbal et l’ordre de recouvrement.
L’esprit de la loi 66-12 ne s’accomplit pas par la simple destruction de l’illégal, mais par la complétion de l’architecture de légitimité :
1. un procès-verbal qui consigne,
2. une évaluation qui calcule,
3. un ordre de paiement qui oblige,
4. un recouvrement forcé qui garantit.
C’est ainsi que l’État reconquiert son corps symbolique dans l’espace public, que l’agent d’autorité redevient protecteur de la loi et non cible de contentieux, et que la ville retrouve sa nature d’espace partagé; et non de butin disputé entre les plus puissants.

italiatelegraph


Potrebbe piacerti anche
Commenti
Le opinioni espresse nei commenti sono degli autori e non del italiatelegraph.
Commenti
Loading...